Voici les principaux extraits de l’interrogatoire de Dominique de Calan par le juge Roger Le Loire, le 14 mai 2008. LE JUGE: Quel a été votre parcours et quelles ont été vos fonctions au sein de l’UIMM ? DOMINIQUE DE CALAN : En 1987, j’ai été recruté par un chasseur de têtes pour exercer les fonctions de directeur de la formation au sein de l’UIMM. J’ai été nommé secrétaire général adjoint en 1989 ou 1990, je ne me souviens pas de la date exacte, et j’ai été nommé directeur général-adjoint au moment où Denis Gautier- Sauvagnac a rejoint l’UIMM en 1994. J’ai exercé ces fonctions jusqu’à aujourd’hui et je suis mis en dispense d’activité à compter du 1er juin prochain, actuellement soldant mes congés payés. Je n’ai plus aucune fonction au sein de l’UIMM et je n’ai plus aucun mandat découlant desdites fonctions depuis le 18 avril. Pourquoi ? Cela est dû à ma mise en examen dans ce dossier. L’UIMM a estimé que la médiatisation de cette affaire empêchait une bonne réalisation de mes responsabilités. J’ai donc signé avec eux un accord de dispense d’activité jusqu’à ma retraite, le jour de mes 65 ans, le 6 mai 2012. Je suis surpris de la réaction de l’UIMM à votre égard dans la mesure où l’UIMM ne s’est pas constituée partie civile dans cette affaire. Qu’en dites-vous ? Je pense que l’UIMM a subi de fortes pressions. Je déplore cette situation mais je l’ai acceptée et je ne vous cache pas que ça a été pour moi une épreuve difficile. J’ai donc perdu mes mandats, moitié Medef, moitié UIMM, concernant l’AFPA, l’AGIRC, tous les mandats universitaires. Je n’ai gardé que mes mandats personnels, Altran et Nexter. (…)
Lors de votre audition du 16 octobre 2007, vous avez aussi repris le terme de « fluidification sociale de notre pays ». Qu’entendez- vous par là ? Je crois que la France est un pays qui souffre de la faiblesse des corps intermédiaires, ce qui freine la diversité nécessaire à notre économie et j’ai la conviction que si on veut moins d’Etat, il faut plus de partenaires sociaux, et qu’il est donc nécessaire d’avoir notamment des syndicalistes et un secteur associatif fort. Or, il n’existe pas ou peu de formations, en dehors de la CGT à ma connaissance, qui forment ses militants à la négociation, à la communication, aux relations publiques, que sais-je ?. Il est donc nécessaire d’aider ces corps intermédiaires. Nous ne pourrons avoir un droit social diversifié correspondant aux réalités de chaque métier qu’avec des conventions collectives librement négociées, et pour cela il faut des partenaires crédibles, puissants et formés. Si je traduis ce que vous venez de nous dire, on peut penser que la destination des espèces versées par Denis Gautier-Sauvagnac était pour les syndicats et pour certaines associations. Etes-vous d’accord ? Il n’y a que lui qui peut vous le dire, mais je n’exclus pas votre hypothèse. Est-ce que la fluidification sociale accompagnée de versements en espèces nécessite une sélection des syndicats et associations avec leur proximité politique ou est-ce que ces versements se faisaient sans distinguo ? A ma connaissance, en dehors des extrêmes, toute association favorisant l’émergence de l’économie de marché pouvait demander à Denis Gautier-Sauvagnac qui lui donnait ou pas, je n’en sais rien, des aides ou des subventions. Qu’il y ait eu après la guerre une volonté anti-communiste, c’est possible, mais en tout cas pas depuis que je suis à l’UIMM. Si je comprends bien, la CGT pourrait faire partie des bénéficiaires. Qu’en dites-vous ? En tout cas, je ne vois pas pourquoi elle serait a priori exclue.
Faisait-elle partie des bénéficiaires jusqu’en 2007 ? Je ne sais pas. Seul Denis Gautier-Sauvagnac avait la responsabilité de ces aides, mais je vous ai déjà dit que je ne l’exclus pas. (…) Vous avez indiqué que les organismes qui participent à la régulation sociale sont : « Les associations, les partenaires sociaux, les intellectuels, les médias, les pouvoirs publics bien évidemment, etc… ». Est-ce à dire que tous ces organismes ont pu bénéficier à un moment ou à un autre des sommes versées par Denis Gautier- Sauvagnac? Les pouvoirs publics, je ne vois pas comment, mais les autres, c’est possible. (…) Concernant les syndicats, comment évaluiez-vous leurs besoins ? D’abord, ce n’est pas moi, c’est Denis Gautier-Sauvagnac qui le faisait, et comme il l’a dit à plusieurs reprises, il était sollicité par certains. (…) Et comment Denis Gautier-Sauvagnac pouvait-il aider face à ce problème ? Comme je vous l’ai dit, je ne suis pas à la place de Denis Gautier- Sauvagnac et on peut supposer qu’il a toujours aidé tous ceux qui contribuaient à la prise en compte de l’économie de marché dans notre pays. Y avait-t-il un contrôle de Denis Gautier-Sauvagnac sur l’utilisation de l’argent qu’il donnait par exemple aux syndicats ? D’abord je n’ai pas dit qu’il donnait aux syndicats et en supposant qu’il le fasse, il jugeait les résultats en tant qu’expert qu’il était et qu’il est de la situation sociale dans notre pays. Pouvez-vous nous dire si certains parlementaires ou leurs assistants, comme il est dit dans le dossier, dans le cadre d’un lobbying, ont pu être approchés par DGS et bénéficier de ces subventions ? J’étais le principal « lobbyeur » de l’UIMM en matière d’emploi, de formation, d’éducation et de retraites pour l’UIMM. J’étais donc en contact avec les ministres, les députés, les sénateurs et tous leurs collaborateurs à l’Assemblée nationale et surtout les permanents des groupes parlementaires qui comme vous le savez ont une énorme influence dans la préparation des lois. A ma connaissance, aucun d’entre eux n’a touché le moindre centime, et en tout cas je n’ai jamais utilisé ce moyen dans ma politique d’influence. Je préférais les dossiers et l’appui des syndicats de ma branche quand j’avais réussi à les convaincre. Dans ce travail, j’ai constaté à nouveau le manque de compétence de tous ces collaborateurs sur l’économie de marché. Cette conviction a été renforcée par mon mandat de conseiller régionale de Bretagne où j’avais été sidéré de l’insuffisante prise en compte de l’économie par les collègues de la majorité régionale de l’époque. J’avais donc suggéré que le Medef et l’UIMM obtiennent de la Loi l’autorisation de mettre à disposition des parlementaires des salariés de l’UIMM pour leur apporter cette connaissance. Cette pratique est considérée comme suspecte aujourd’hui. J’espère qu’un nouveau gouvernement aura le courage d’autoriser cette forme de lobbying qui bien entendu nécessite un minimum d’encadrement réglementaire. Ma proposition n’a pas été retenue et je dois dire que les dernières élections ont encore montré que les hommes et les femmes d’entreprises sont malheureusement toujours aussi mal représentées au parlement, que ce soit au sénat ou à l’assemblée nationale. (…)
Denis Gautier-Sauvagnac a déclaré lors d’une de ses dépositions, le 28 novembre 2007, qu’il vous confiait chaque année 30 000 euros en espèces, que vous remettiez ensuite à des organismes en liaison avec la vie universitaire. Est-ce exact et à quel moment de l’année remettiez-vous ces sommes aux bénéficiaires? C’est exact. L’UIMM a toujours à ma connaissance souhaité une évolution des liens entre l’université et le monde de l’entreprise (…) Contrairement à ce que j’ai pu lire dans la presse, il ne s’agit pas d’un syndicat dit de droite. J’étais donc le facteur le plus discret car je rencontrais ces personnes dans l’exercice de mes mandats tout à fait naturellement, notamment au conseil supérieur de l’enseignement et de la recherche où toutes les parties sont représentées. (…) Je remettais donc aux personnes que me désignait Denis Gautier- Sauvagnac les aides sus-citées. Quant à vous donner leur nom, c’est à Denis Gautier-Sauvagnac d’en prendre la responsabilité. Comme je l’ai dit aux policiers, ils étaient moins de dix, car il n’y a pas plus de syndicats d’étudiants et d’enseignants représentatifs. Et en vous disant que je les rencontrai au CNSER, vous pouvez faire la liste vous-même si vous le souhaitez. C’était toujours en décembre ou en janvier, c’est- à-dire au milieu de l’année universitaire. Vous conviendrez que ces sommes sont bien modestes, mais remplacer une photocopieuse, remettre en ordre un local saccagé, sont des choses qui m’apparaissent bien utiles. Il appartiendra à Denis Gautier-Sauvagnac de vous en dire plus s’il le souhaite. Pour ma part, je pense que cette mission rentre bien dans le cadre des attributions de l’UIMM et je me félicite de la loi sur l’autonomie des universités et je pense que l’UIMM y a contribué. Vous avec parlé de moins d’une dizaine de bénéficiaires. 30 000 euros divisés par dix, ça fait 3 000 euros. Cela correspondrait-il à peu près à l’aide pour chacun des bénéficiaires ? Je n’en sais rien mais je constate que 3 000 à 5 000 euros, qui correspondent aux sommes auxquelles vous faites allusion, ne sont pas du tout négligeables pour une association universitaire. Effectivement, à la cote D 328-1 figure l’article du JDD dont le journaliste parle d’un syndicat de droite. Pour ce qui vous concerne, vous faites allusion à des associations ou syndicats qui ne seraient pas anti-patronaux. Peut-on éliminer les associations ou syndicats universitaires de gauche ? Je n’éliminerais personne, sauf bien entendu les extrêmes. Dans les milieux universitaires, on m’a toujours reproché plutôt mes amitiés à gauche qu’à droite, bien que mes engagements personnels soient différents. J’ai toujours été un pragmatique, j’ai toujours travaillé avec tous ceux qui étaient ouverts, quelles que soient leurs tendances politiques. Je pourrais citer des hommes avec qui nous avons fait un travail remarquable, un à droite, et deux à gauche : Dominique Antoine, l’actuel conseiller de l’Elysée, le professeur Descombs, qui a été longtemps le directeur de l’enseignement supérieur, notamment sous Jack Lang, et Christian Forestier, directeur du cabinet de M. Lang. Je précise pour qu’il n’y ait pas d’amalgame, que ces trois-là n’ont jamais rien touché et c’est notamment avec eux que l’on a fait toutes les lois sur l’apprentissage dans l’enseignement supérieur, le fameux bac professionnel en trois ans qui mobilise actuellement les étudiants, le LMD, etc… L’UIMM n’a aucun tropisme avec les universitaires de droite. L’UNEF et l’UNI pourraient par exemple faire partie des bénéficiaires, qu’en dites-vous ? Pourquoi l’UNEF-ID ? Pourquoi pas les FAGE ? Matériellement, leur remettiez-vous cela dans des enveloppes ? Oui, c’est exact. Avez-vous uniquement repris le flambeau de la remise d’argent à des organismes sociaux qui en bénéficiaient ou avez-vous eu personnellement à remettre à de nouveaux bénéficiaires ? Je ne sais pas, c’est Denis Gautier-Sauvagnac qui désignait les bénéficiaires.
Comment abordiez-vous les bénéficiaires concrètement ? Pour répondre à votre question, c’étaient des gens qui étaient déjà au courant et qui attendaient la lettre du facteur. Denis Gautier-Sauvagnac vous remettait-il les enveloppes en même temps le même jour ? De mémoire oui, de même qu’il m’arrivait de lui rendre en dépôt dans son coffre si je n’avais pas rencontré en temps utile le bénéficiaire.
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